mercredi 16 septembre 2015

STRATEGIE POKER - Partie 2 : DE PARTENARIAT A CONCURRENCE


En 2006, un seul marché regroupait des millions de joueurs, Chris MoneyMaker venait de lancer la mode poker auprès du grand public en remportant le Main Event des World Series of Poker 2003, et Patrick Bruel démocratisait ce jeu sur Canal+. Il fallait alors faire tourner la planche à billet, tous les joueurs à volume étaient les bienvenus pour générer du rake. Quitte à partager le gâteau avec eux pour des opérateurs majeurs comme Pokerstars ou Winamax, alors pure players poker. C’était le temps du partenariat entre rooms et joueurs.

Un Black Friday, divers cloisonnements et impositions locales, un effet de mode qui s’estompe et un niveau de jeu général qui augmente sont depuis passés par là. Partager ce gâteau qui rétrécit tous les mois un peu plus n'est plus dans l'air du temps. Les joueurs gagnants sont-ils désormais passés au statut de concurrents pour les opérateurs ?


En lançant les Expressos, Winamax a définitivement révolutionné le poker moderne, par l'attrait du format sur les joueurs récréatifs bien entendu, mais désormais en poussant les joueurs à gros volume vers un modèle bien moins rentable pour eux (rake plus haut, variance plus forte, places aléatoires). Ce n’est pas un hasard si le format a bénéficié de la plus grosse opération de l’été avec un Challenge doté de 300.000€ sur huit semaines. La ségrégation des joueurs (Party Poker), les tables anonymes sont autant d’autres exemples mis en place ces dernières années avec plus ou moins de succès. C’est exactement le cas dans les changements mis en place récemment par Full Tilt : en supprimant certaines tables et variantes, et massifiant la cible récréative et perdante sur un format hyper turbo, les joueurs gagnants devront s'adapter et seront surtout moins gagnants. Sans réelle prise de risque, puisque les joueurs qui choisiraient alors l’exil se retourneraient pour beaucoup sur le grand frère Pokerstars.

Mais le véritable changement majeur est plus insidieux. Les opérateurs n'ont plus envie de voir une part du chiffre d’affaires potentiel partir dans les poches d’autres acteurs de la chaîne alimentaire. Les investissements de recrutement, de fidélisation, d’opérations commerciales dans le but de faire déposer des joueurs (bonus divers, communication, innovations marketing) ne doivent plus être partagés avec des joueurs compétents qui "limitent l’expérience de jeu", "le plaisir des joueurs déposants". Les bankrolls doivent générer un rake à la seule destination des caisses des opérateurs. Car comble économique, les rooms versent du rakeback en plus des gains aux tables des joueurs gagnants, et dans le même temps elles doivent à nouveau investir pour faire redéposer et garder cette clientèle perdante face à ces mêmes joueurs gagnants.

Comment remplacer ces joueurs gagnants et le volume de commission qu’ils apportent à un opérateur ? Paris sportifs, hippiques, jeux de casino sont leurs nouvelles armes. Depuis le rachat de Pokerstars, Amaya n’a eu de cesse de communiquer que le poker restait le cœur de son activité. Mais en deux ans, ces nouvelles activités ont débarqué sur Pokerstars, les paris sportifs étant pour très bientôt en France selon Alexis Laipsker. D. Mansour, spécialiste des jeux de casinos et bingo, a été nommé à la tête de Full Tilt. Les jeux de gaming sont arrivés très vite, puis le terme « poker » a disparu du nom de la marque avant qu’il ne s’attaque au poker lui-même avec des changements d'envergure.

"L'une de nos principales forces est notre technologie : nous utilisons un système informatique et de gestion que nous avons nous-mêmes développé et que nous maîtrisons entièrement. Cela peut paraître anecdotique mais, dans la pratique, cette atout permet aux joueurs de miser leurs gains de poker pour faire des paris sportifs et vice-versa, sans avoir à jongler entre différents comptes et faire des transferts d'argent." M. Porri, Directeur Marketing Winamax - Le Parisien 01/07/2014


En France, les joueurs ont vu d’un bon œil le lancement des paris sportifs sur Winamax en 2014 pour la Coupe du Monde. Jugée source de nouveaux joueurs aux tables, c’est pourtant l’exemple flagrant de l’optimisation du portefeuille clients poker : en deux semaines, sans communication, l’opérateur français invitait la presse pour fêter l’atteinte de son objectif … annuel de 5% de parts de marché! L’élément clé de Winamax ? Une bankroll unique pour les deux activités. 
Les termes employés par Mathieu Porri ci-dessus sont importants : il cite expressément les milliers d’euros dédiés au poker qui vont nourrir les paris sportifs.

 Home Page Winamax mi-août 2015

Cet été, à l'occasion du weekend du 15 Août, la simple ouverture du site de l’opérateur ne laissait pas vraiment de place au doute : deux bannières centrales pour le lancement de la campagne télé de paris sportifs (une publicité de publicité !) et des Grilles Winamax*, une banner pour parier sur Manchester City / Chelsea, l’avant-match Monaco-Lille. Seul un visuel pour les Winamax Series faisait référence au marché d’origine du désormais multiplayer français. Cela fera probablement venir quelques joueurs, mais l’ensemble de la base clients poker va orienter une partie de sa bankroll vers d’autres jeux, à base de communication : « Devenez le Prophète » , synergies poker/paris (Match Retour de Winamax avec des paris à gagner à chaque élimination d’un adversaire), relais récurrents sur le site publicitaire de la room et même la réorientation des couvreurs historiques vers des articles sportifs. 
Chez les concurrents, PMU met en avant des bonus liés à toutes les activités (PMU),  et Pokerstars annonce donc lancement des paris sur Pokerstars dans les mois à venir. Il n’y a là pas de place pour le hasard.


Tout est question de communication. Les opérateurs doivent se diversifier pour développer leur activité dans un marché poker aussi compliqué. Les paris hippiques pourraient être la prochaine étape sur Winamax et Pokerstars. PMU Poker fait d'énormes progrès sur son offre poker depuis quelques mois.
Dans ce cadre, le volume et le rake générés au poker par un joueur comptent-ils autant qu'ils se le laissent croire ? La réponse est probablement oui ...

Mais à la condition qu'il ne soit pas gagnant aux tables.


soxav

*Les Grilles Winamax : format de paris foot pour jouer à plusieurs.

lundi 7 septembre 2015

STRATEGIE POKER - Partie I : LA COMMUNICATION FAUSSEMENT "RECREATIF"

En termes de communication, les mots sont particulièrement importants. Ils peuvent être riches de sous-entendus, source d’un flou judicieusement orchestré. Quelquefois trompeurs, ils peuvent aussi permettre de cacher le vrai sens d’un propos, d’une stratégie. Depuis des mois, le marché du poker est entré dans une mutation qui fait tout pour ne pas dévoiler son réel objectif.


Tout part d’un mot, un seul : "Récréatif", devenu le terme à la mode. En juillet dernier, le Directeur Général de Fulltilt affirmait :

"Retrouver le plaisir de jouer au poker en ligne et améliorer l’expérience joueur" - D. Mansour

iPoker s’apprête à lancer une nouvelle version de son logiciel pour se recentrer sur une clientèle récréative après avoir introduit en février dernier un nouveau système de partage des revenus, Source Based Rake (SBR), sur sa plateforme .com. Son principe : valoriser les rooms qui recrutent de nouveaux joueurs sources de dépôt, pas les rooms disposant des joueurs à plus fort volume, généralement des joueurs gagnants, donc source de retraits. Unibet avait ouvert la voie en se séparant de la plateforme MPN pour son propre logiciel, fun et récréatif début 2014. De son côté, PKR a lancé cet été sur le .com une promotion aux gains aléatoires pour donner plus de chances à des joueurs récréatifs d’en bénéficier : PocketsFull Promotion. Il suffit de toucher des paires servies lors des 50 premières mains quotidiennes. Plus près de nous, cela rappelle les Bonus Jackpot de Winamax à l’occasion de Summer Shots ou la dernière interview d’Alexis Laipsker, Responsable Communication de Pokerstars.fr, sur Clubpoker :


« On essaie de toucher le public le plus large possible, et notamment des gens qui ne jouent pas au poker et qui pourraient être attirés par le côté ludique, simple, mobile et rapide. » A. Laipsker


Dans l’inconscient des forums de poker, "récréatif" est souvent opposé au terme "reg", désignant les bons joueurs. Les "fishs", joueurs faibles, sont désormais assimilés à ces « récréatifs ». Logique donc que les rooms vendent aux bons joueurs qu’elles veulent attirer les mauvais joueurs pour remplir les tables. Cela fonctionne à merveille sur des joueurs qui affectionnent le terme à l’encontre des autres, principalement pour s’auto-convaincre que ce sont eux les regs, les bons joueurs …

Les notions de récréativité et de régularité n’ont pourtant rien à voir : la première fait écho aux raisons et objectifs de jeu de chacun : plaisir, challenge, fun, partage communautaire sont autant de bonnes raisons de s’adonner aux cartes, la partie lucrative n’étant pas forcément essentielle. Le second fait appel à la notion de récurrence, de fréquence de jeu. Jouer tous les mardis et dimanches chaque semaine est signe de régularité. Certains joueurs de freerolls peuvent même être considérés comme des regs. Un joueur récréatif peut être un joueur régulier, un reg. Le terme ne renvoie pas à la notion de compétence, il existe des regfish et des sharks pour cela.


Et si ce flou permettait aux opérateurs de masquer leur véritable stratégie : le joueur déposant contre le joueur gagnant ? Mais pour les communicants du poker, adeptes du politiquement correct, cela se traduit par "remettre le récréatif au centre du poker". Daniel Negreanu affirmait en octobre 2014 sur 2+2 : « Ce qui tue le poker online ? Les joueurs gagnants ! ». Probable erreur de communication par sa franchise, puisque personne n’est venu publiquement le soutenir du côté des industriels et de son sponsor Pokerstars. Les stratégies mise en place ces derniers mois semblent montrer que son avis est vraisemblablement partagé par l'ensemble des opérateurs.
Toutes leurs actions vont aujourd'hui en ce sens.

STRATEGIE POKER - Partie II : OPERATEURS / JOUEURS GAGNANTS : de partenaires à concurrents ?

soxav